StĂ©phane Domeracki, enseignant au lycĂ©e Galatasaray dâIstanbul. Auteur de Heidegger et sa solution finale et des Nouveaux essais sur lâentendement inhumain, propose un droit dâinventaire de lâĆuvre dâHeidegger et des Ă©crits qui minorent sa violence. Ă paraĂźtre 100 reproches Ă Jackie Derrida. Spectres de Heidegger , une relecture des Ćuvres de GĂ©rard Granel, Reiner SchĂŒrmann ou Jean-Luc Nancy, Ă lâaune des derniers volumes de la Gesamtausgabe, par Friedrich-Wilhelm von Herrmann, co-auteur avec Francesco Alfieri de La vĂ©ritĂ© sur ses cahiers noirs, publiĂ© par Philippe Sollers, aux Ă©ditions Lâinfini, Retour sur les malversation du dernier assistant de Heidegger, Friedrich Von Herrmann Le 2 aoĂ»t 2022 fut annoncĂ© le dĂ©cĂšs de celui qui fut le dernier assistant de Martin Heidegger, Friedrich-Wilhelm Von Herrmann. Depuis 1972, il Ă©tait dĂ©signĂ© pour appliquer ses consignes secrĂštes pour lâorganisation de son Ćuvre dite intĂ©grale, la Gesamausgabe, dont les derniers volumes ne devraient plus tarder. Mais dĂ©jĂ , de nouveaux Ă©crits hors Ă©dition dite intĂ©grale sont annoncĂ©s, ne serait-ce quâun traitĂ© au nom ubuesque, Megiston. Il co-participe donc Ă la publication de ces Ă©crits tronquĂ©s, dont certains passages sont dĂ©libĂ©rĂ©ment censurĂ©s pour tromper. Il est toutefois prĂ©sentĂ© comme celui ayant menĂ© Ă bien une mission de superviseur scientifique » de cette Ă©dition, ce qui ne manque pas de sel si chacun veut bien se rappeler que la science ne pense pas. » Et du reste, le caractĂšre scientifique, scrupuleux, philologiquement parlant de cet ensemble, est tout Ă fait douteux, de toute façon. La carriĂšre de ce monsieur a commencĂ© en 1961, avec une thĂšse de doctorat, dirigĂ©e par Eugen Fink, portant sur lâauto-interprĂ©tation de Martin Heidegger. » Or, ne serait-ce que le volume contenant les auto-relectures de Sein und Zeit par le penseur dans les annĂ©es trente a Ă©tĂ© publiĂ© dans les annĂ©es 2000. Il sâagit presque de lâacte fondateur de tous les travaux de ses admirateurs depuis cinquante ans prĂ©tendre proposer des Ă©crits dâexpertise en nâayant pas accĂšs Ă tout le corpus. Ou bien alors ils y avaient accĂšs, et alors, cela signifie quâils Ă©taient mis au parfum concernant les textes les plus infects, mais devaient jurer de ne pas en dire un mot. Dans tous les cas, Von Herrmann faisait partie du cercle des trĂšs proches cooptĂ©s, qui, comme le peu regrettĂ© François FĂ©dier en France, Ă©taient volontaires pour mener Ă bien une entreprise de malversation intellectuelle durable, par laquelle la sigĂ©tique heideggerienne faisait son trou. Les dommages causĂ©s par de telles activitĂ©s sont considĂ©rables, de tels auteurs Ă©tant rĂ©guliĂšrement pris au sĂ©rieux et pour leur Ă©rudition dâapparat, et pour leur proximitĂ© magique au maĂźtre. Leur carriĂšre repose Ă chaque fois sur un mĂ©lange dâadmiration et de soumission pour cet auteur surnazi comprendre dont le nazisme trouvait les nazis effectifs trop mous ils produisent moults volumes au mieux acritiques et hagiographiques, au pire complĂštement dithyrambiques et mensongers; dans son cas une quinzaine dâopus et toute une nĂ©buleuse dâarticles et confĂ©rences pour cĂ©lĂ©brer celui qui trouvait nĂ©cessaire de criminaliser la juiverie ». De toute Ă©vidence, les heideggeriens orthodoxes », de stricte obĂ©dience, peuvent juste paraĂźtre ridicule, dĂ©sormais, la situation Ă©ditoriale rĂ©vĂ©lant avec une lumiĂšre trop crue lâampleur du naufrage de leur prophĂšte. Mais quelques hommages sont distillĂ©s pour rendre hommage au travail acadĂ©mique de F-W Von Herrmann, pour la simple raison que certains confondent lâacribie nĂ©cessaire au vrai travail philosophique avec des formes dâallĂ©geance perpĂ©tuelles, et les revues scientifiques deviennent alors des rubriques nĂ©crologiques ou des livres dâhommages. Un essai nĂ©gationniste cosignĂ© avec Alfieri La vĂ©ritĂ© sur les cahiers noirs Nous ne pouvions que nous amuser du titre de lâouvrage si journalistique, ce qui ne manque pas dâironie toute la vĂ©ritĂ© sur.. »! RĂ©vĂ©lation exclusive! Comme il se doit, les rĂ©dacteurs ne manquent pas de multiplier les pointes censĂ©es ĂȘtre sarcastiques Ă lâencontre des lecteurs critiques de leur idole comme Ă lâencontre des journalistes, ce qui est toujours une façon maline de se mettre les lecteurs philosophes » dans la poche, beaucoup Ă©tant acquis dâavance Ă la critique du journalisme, sans Ă©gards bien sĂ»r pour son rĂŽle primordial en dĂ©mocratie. Le Maestro de Brest Pascal David commet une postface, dans laquelle incite Ă traduire Judentum par gĂ©nie juif » il serait loisible dâĂ©clater de rire si le sujet nâĂ©tait pas aussi grave. La vĂ©ritĂ© sur les Cahiers noirs un tel titre prĂ©tend donc nous expliquer le fin mot dâun ensemble de notes dĂ©crĂ©tĂ©es marginales â en les mettant bien Ă part du reste des Ćuvres. Or, tout montre au contraire quâil nây a aucune distance entre les traitĂ©s Ă©sotĂ©riques comme les BeitrĂ€ge ou Lâhistoire de lâĂȘtre et ces carnets, les deux sâentre-alimentant bien au contraire. Que Von Hermann ait cru bon de tenter un tel cordon sanitaire en dit surtout long sur le caractĂšre dĂ©sespĂ©rĂ© de sa dĂ©marche, tant mĂȘme une lecture en diagonale suffit Ă en montrer lâinanitĂ©. Mais les tentatives de minoration comme celles dâeuphĂ©misation sont au fondement mĂȘme de toutes les carriĂšres universitaires ou non qui se sont faites Ă la file de cette mĂ©tapolitique de lâextermination. Les horreurs qui se trouvent dans les Cahiers noirs sont du reste bien devenues des volumes de la Gesamtaugabe, dans les derniers volumes, comme sâils Ă©taient plus ou moins son dernier mot, ses derniĂšres consignes. Lâessai de Von Hermann et AlfiĂ©ri est une aberration, un dĂ©lit dâinitiĂ©, avec faux et usage de faux traductions approximatives et orientĂ©es, textes tronquĂ©s, et surtout, oubli volontaire de tous les renvois aux traitĂ©s Ă©sotĂ©riques le but Ă©tant, câest patent, de chercher Ă les nâai pas lu une ligne concernant lâimportant tome 69, en particulier le passage censurĂ© par le fils Heidegger et Peter Trawny, lequel est dĂ©cisif celui oĂč Heidegger sâinterroge sur la prĂ©destination particuliĂšre de la communautĂ© juive mondiale au crime planĂ©taire ». Bien plutĂŽt les deux auteurs cherchent Ă appuyer les critiques violentes contre lâAmĂ©ricanisme et la chrĂ©tientĂ© â comme si elles nâĂ©taient pas intimement liĂ©es dans le dispositif historial », destinal » de la pensĂ©e de lâĂȘtre Seyn Alfieri et son acolyte nous intiment de ne comprendre des passages entiers des Cahiers noirs quâĂ partir dâautres passages des Cahiers noirs, dont ils multiplient les traductions alors mĂȘme que, par ailleurs, ils exigent de tout lecteur probe » de ne les lire quâen connaissant tous les autres volumes prĂ©cĂ©dents. Mais comme câest curieux, ils nây renvoient jamais. Câest pourtant lâunitĂ© de la pensĂ©e suprĂ©maciste de Heidegger quâil faut comprendre. Par exemple, nous allons le voir ne comprendre lâexpression principe barbare » quâĂ partir dâautres occurrences de ce terme, en arguant quâils ne se trouvent pas dans les autres volumes de la GA tactique minable mais qui peut sembler judicieuse pour dĂ©fendre sottement les autres volumes plus indirects dans leurs attaques antisĂ©mites. On imagine le brainstorming intensif pour trouver un moyen de montrer quâen ces passages, Heidegger nâappellerait pas en vĂ©ritĂ© Ă une cessation des demi-mesures » dont il accusait les nazis lors des annĂ©es trente, oĂč il estimait leurs tergiversations trop mollassonnes Ă son goĂ»t.. Le propos grotesque de FĂ©dier, lors dâune confrontation avec Faye, selon lequel barbare » ne serait pas un terme apologĂ©tique, a donc encore de beaux jours devant lui. Von Hermann et son ami italien se sont posĂ©s en continuateurs. Il a mĂȘme Ă©tĂ© tentant pour lui de se poser en interlocuteur privilĂ©giĂ© â au mĂȘme titre que Barbara Cassin qui semble ne sâĂȘtre jamais remise de sa rencontre avec le maĂźtre ; ainsi Von Hermann nous incite Ă lire sa correspondance moisie avec son idole, laquelle nâapporte strictement rien aux enjeux vĂ©ritables des Cahiers noirs. Câest plus fort quâeux il y a mĂȘme une photo, presque dĂ©dicacĂ©e, dans le plus pur style 52 photographies de Heidegger par FĂ©dier. Le phĂ©nomĂšne des groupies nâest pas propre quâaux stars du Rock. Les heideggeriens se serrent les coudes dans lâadoration, et nous prennent mĂȘme pour des imbĂ©ciles en faisant semblant de se quereller ; ça et lĂ dans lâessai, quelques piques Ă Peter Trawny, â dâautres juste de circonstances Ă Di Cesare ou Faye; il ne sâagit que de donner lâimpression de ne sâen prendre quâĂ celui qui a bien mal jouĂ© le rĂŽle du renĂ©gat, lequel ne propose pas les critiques les plus structurĂ©es et approfondies un adversaire commode, en somme. Les Ă©crits de Trawny constituent un tel false flag permettant de ne pas rĂ©pondre aux vraies critiques. Von Herrmann et Alfieri sur le nazisme comme principe barbare Ceux qui connaissent quelque peu la longue histoire du cas Heidegger connaissent une scĂšne assez fameuse de la confrontation qui avait eu lieu, dans lâĂ©mission tĂ©lĂ©visĂ©e BibliothĂšque MĂ©dicis, entre François FĂ©dier et Emmanuel Faye, reçus par le journaliste Elkabbach on pouvait assister, mĂ©dusĂ©s, Ă lâĂ©vocation par le premier, pour la premiĂšre fois, de mystĂ©rieux Cahiers noirs, oĂč Heidegger â le mythe Ă©tait lancĂ©- ne cesserait de faire montre de sa fameuse rĂ©sisance spirituelle envers le nazisme, que son traducteur satisfait nâavait pas hĂ©sitĂ©, Ă lâĂ©poque, Ă rendre par la traduction socialisme-national. Un passage en particulier Ă©tait scandĂ© sur un ton triomphant Heidegger critiquerait le nazi comme Ă©tant mĂ» par quelque principe barbare. Emmanuel Faye avait eu lâintelligence de rapidement poser la question de savoir si la locution Ă©tait bien pĂ©jorative sous sa plume â et FĂ©dier de rĂ©pliquer, indignĂ©, comme si cela Ă©tait Ă©vident, que cela est bien entendu!âŠLa seule certitude, câest que la mĂȘme impression que cela va de soi va nous ĂȘtre assenĂ©e par AlfiĂ©ri, dont la fonction, au nom de tout le corps professoral de bon aloi, est de nous montrer, mĂȘme si cela va de soi, que Heidegger, en aucun cas, nâoserait faire lâapologie du nazisme, en particulier dâun nazisme authentiquement liĂ© Ă quelque mission que ce soit, qui serait bien plus louable que, mettons, un national-socialisme quâil jugerait vulgaire. Commençons par situer la pĂ©nible tentative de blanchissement par AlfiĂ©ri; elle se situe seulement entre les pages 125 et 130 â elle est expĂ©diĂ©e dans la partie de lâouvrage oĂč il cherche Ă traiter Ă part tous les passages qui porteraient, suppose-til, sur le national-socialisme; sous-entendu si le mot nâapparaĂźt pas, câest quâil nâen serait pas forcĂ©ment question. Or, puisque Heidegger Ă©crit toujours par allusions, Ă mots couverts quand il critiquait trĂšs spĂ©cifiquement le rĂ©gime effectif, dans les annĂ©es trente, ne serait-ce que pour ne pas finir Ă Dachau en cas de perquisition; nous ne pouvons donc souscrire Ă ce premier Diktat hermĂ©neutique, le mĂȘme que celui qui concerne le judaĂŻsme, du reste, dont ce genre dâauteur se proposent complaisamment de considĂ©rer quâil nây aurait quâune dizaine de thĂ©matisations dans les Cahiers noirs et les autres Ă©crits de ces annĂ©es-lĂ . Quiconque a lu sĂ©rieusement Heidegger sait pertinemment que câest lâauteur qui use et abuse le plus de clins dâoeils permanents, sachant bien que sa visĂ©e ultime impliquerait une discrĂ©tion extrĂȘme de la part des protagonistes. Alors, mĂȘme sâil sâagit dâanalyser, et en cela, effectivement, de trier par types et thĂšmes les Ă©crits dâapparence dĂ©structurĂ©s de ces annĂ©es-lĂ , cela signifie surtout quâil faut relier entre les textes pour dĂ©plier leur sens. Alfieri ne se gĂȘne pas pour faire son petit assortiment, nous allons en faire autant, et chacun se fera son impression. Mais Ă©tudions dâabord ses propositions â â impositions, puisquâil dĂ©crĂšte que quiconque ne suit pas ses interprĂ©tations dĂ©choierait de ses reponsabilitĂ©s de philosophe, rien de moins. Dans son essai, le passage portant sur le principe barbare est prĂ©cĂ©dĂ© par un autre, non moins douteux, sur lequel toutefois AlfiĂ©ri passe trĂšs vite, oĂč il est pourtant Ă©crit de façon dĂ©cisive que le nazisme peut contribuer Ă Ă©tablir une nouvelle position fonciĂšre Ă lâĂ©gard de lâĂȘtre » Seyn Rien de moins. Au mĂȘme titre, disons, quâAristote, Leibniz ou Nietzsche. Sachant que le dernier terme, Seyn, constitue littĂ©ralement le Graal, le rĂ©fĂ©rent-maĂźtre de sa pensĂ©e, quâil nây a pas plus mĂ©lioratif sous la plume de Heidegger, on comprend pourquoi notre hermĂ©neute-en-chef dĂ©guerpit au plus vite face Ă la difficultĂ© insurmontable pour sa dĂ©monstration pro domo, et se hĂąte de passer au cas de la barbarie, pressĂ© quâil est dâexhiber ses petites trouvailles, lesquelles permettraient dâexonĂ©rer son hĂ©ros. De ce passage, donc, pas un mot, AlfiĂ©ri ne cherchant pas franchement Ă voir comment un rĂ©gime appelant au meurtre des Juifs pourrait, de quelque façon que ce soit, apporter de quoi surmonter lâontologie propre au premier commencement pervertit par lâhelleno-judĂ©ochristianisme. Il se dĂ©pĂȘche plutĂŽt vers le fameux Le nazisme est un principe barbare. Telle est son essence propre et son Ă©ventuelle grandeur » Grösse Dans mon ouvrage Heidegger et sa solution finale jâavais choisi de traduire plutĂŽt par potentielle grandeur, au sens oĂč, clairement, Heidegger a attendu quelque chose du nazisme, mĂȘme sâil lâa vite accablĂ© de ses sarcasmes privĂ©s. Nâoublions jamais que dans la republication aprĂšs guerre, en 1953, dâIntroduction Ă la mĂ©taphysique, il a bien sauvegardĂ© le propos final sur la mission intime du nazisme mĂȘme sâil semblerait quâil manque la derniĂšre page du cours dans le manuscrit⊠Le choix du terme Eventuelle a la mĂȘme fonction que la plupart des autres tentatives dâAlfiĂ©ri tout au long de son ouvrage euphĂ©miser, Ă nâen plus finir. Mais lâopĂ©ration de prestidigitation a lieu en un Ă©clair, il sâagit donc dâĂȘtre attentif, lorsque notre interprĂšte se hĂąte de cacher la poussiĂšre sous le tapis Il faut commencer par noter que la tournure le national-socialisme est un principe barbare » nâapparaĂźt pas ailleurs dans les Ă©crits de Heidegger » Ce qui est tout simplement faux, Ă moins, bien entendu, de dĂ©crĂ©ter que les lettres privĂ©es de Martin Heidegger ne sont pas des Ă©crits. Et ils seraient nombreux, en particulier le postfacier-pianiste Pascal David, Ă ĂȘtre tentĂ©s de vouloir expulser les lettres des oeuvres de Heidegger. Or, ce serait lĂ un acte grossier de dĂ©nĂ©gation, surtout que ce dernier a traduit et publiĂ© les lettres Ă Hannah Arendt, intĂ©grĂ©es Ă la prestigieuse collection Gallimard BibliothĂšque de philosophie comme celles Ă Blochmann â â ce qui ne sera pas le cas des Cahiers noirs, qui le seront Ă la collection Lâinfini, comme pour les mettre Ă part, alors quâil sâagit bien dâauthentiques volumes voulus dans la Gesamtausgabe. La liste des malversations Ă©ditoriales devient vertigineuse. Lâexpression douteuse qui nous intĂ©resse ici se trouve bien dans une lettre dĂ©cisive de la correspondance entretenue avec le sĂ©millant Kurt Bauch. Ce charmant nazi spĂ©cialiste dâhistoire de lâart, rĂ©sidant en Hollande mais traitant, dans une lettre, les NĂ©erlandais de harengs, -sans que son correspondant ne sâen offusque le moins du monde- a pu recevoir des mises au point dĂ©cisives de son Heidegger, notamment en ce qui concerne lâusage dâun Deckname comme Seyn. Ici, la locution est reprise mais lĂ©gĂšrement dĂ©placĂ©e, dans un extrait de correspondance quâAlfiĂ©ri et ses acolytes connaissent forcĂ©ment Le nazisme serait beau en tant que principe barbare â mais il ne devrait pas ĂȘtre aussi bourgeois » lettre du 7 juin 1936 Jâai soulignĂ© Ă dessein lâexpression employĂ©e, car, nous verrons, cela sera dĂ©cisif pour nous amener Ă faire ce quâil conviendra face Ă la tentative de lâinterprĂšte un soulĂšvement dâĂ©paule. Il cherchera en effet Ă jouer sur le sens du mot Grösse, grandeur, en montrant que ce terme Ă©tant par endroit pĂ©joratif sous sa plume, alors il ne sâagirait pas dâĂȘtre dans lâapprĂ©ciation de la mission interne du rĂ©gime. Mais nous y reviendrons. Contentons-nous pour lâinstant de constater la cohĂ©rence de Heidegger, lequel sâen prend rĂ©guliĂšrement au libĂ©ralisme des agents nazi, dont il dĂ©plore les tendances frileuses, petites-bourgeoises, Ă la demi-mesure y compris avec ses amis, voire son propre frĂšre. Mais revenons au pas en retrait de notre interprĂšte de lâuniversitĂ© de Latran, consistant Ă ne surtout pas prendre en compte les textes mettant en danger son montage Ă dĂ©charge. Fort de son dĂ©cret, il peut se proposer une mĂ©thode de travail pour le moins rĂ©volutionnaire, consistant Ă chercher les autres occurrences du mot barbare dans les Cahiers noirs, parce que, oui, câest bien entendu, cela va de soi, la comprĂ©hension de son usage ici en serait forcĂ©ment facilitĂ©. Et â divine surprise!- les usages de ce terme auraient tendance Ă le disculper, ou en tout cas Ă bien montrer tout le mal quâil pense, câest bien entendu, du nazisme. Bon. Ce nâest peut-ĂȘtre pas aussi simple et commode que le souhaite ardemment AlfiĂ©ri, nous allons le voir. Las lorsquâil se hĂąte dâĂ©voquer un extrait provenant volume 95, Martin Heidegger consigne par exemple que le sĂ©rieux de la pensĂ©e nâest pas lâaffliction et la rĂ©crimination sur des temps prĂ©tendument mauvais et sur une barbarie menaçante » nous nâavons pas franchement lâimpression que Heidegger ressente quelque gĂȘne que ce soit Ă lâĂ©gard du principe barbare Ă©voquĂ© plus haut, et du pĂ©ril que ferait peser le dĂ©ploiement de la barbarie dans divers camps dissĂ©minĂ©s dans le Reich. Il mâa mĂȘme tout lâair de lancer lĂ une invective Ă lâencontre de ceux qui, quelque peu effeminĂ©s, seraient refroidis par les rumeurs dâactes de barbaries qui nâont pas manquĂ© dâĂȘtre Ă©voquĂ©es ça et lĂ pendant les annĂ©es trente. Et si Alfieri ne choisissait pas Ă dessein les passages qui lâarrange, afin de perpĂ©trer la lĂ©gende grotesque dâun Heidegger rĂ©sistant il aurait pu Ă©voquer celui-ci, absent de ses interprĂ©tations, et pourtant bien prĂ©sent dans le volume 94 des Cahiers noirs sur lesquels il prĂ©tend se focaliser Le plus grand danger nâest pas la barbarie et la dĂ©cadence, car ces Ă©tats peuvent conduire Ă une plus haute issue â et ainsi Ă une situation dâurgence. » GA94, Loin de dĂ©plorer la torture de civils, la dĂ©portation de familles entiĂšres, et la multiplication des crimes odieux, Heidegger y voyait au contraire une voie vers la transition vers ce nouveau commencement dont il rĂȘvait tant, lui qui mettrait fin Ă lâengeance judĂ©o-chrĂ©tienne; Ă ses yeux, seule une crise violente permettrait le divorce total, sans quoi celle-ci se perpĂ©tue sous dâautres formes, dont le nazisme vulgaire en serait paradoxalement une forme insigne. Lâexpression plus haute issue est bien cohĂ©rente avec lâextrait de lettre Ă Bauch Ă©voquĂ© plus haut, et cadre surtout avec le topos du surpassement de la mĂ©taphysique quâil perpĂ©tuera tranquillement aprĂšs guerre, par exemple dans les extraits rassemblĂ©s dans Essais et confĂ©rences sous le nom de DĂ©passsement de la mĂ©taphysique. La suite du passage stipule que Le plus grand danger est la mĂ©diocritĂ© ambiante et lâordonnancement uniformisant avant tout â que ce soit sous la forme de lâactivitĂ© la plus vide, aussi bien que celle apparemment convenable, â mais qui ne participe de rien de plus que de lâhonnĂȘtetĂ© requise. » Bien entendu, il ne sâagit quâun de ces trĂšs nombreux tĂ©moignages oĂč nous voyons Heidegger fulminer contre la tendance Ă la demi-mesure Halbheit du rĂ©gime national-socialiste pendant les annĂ©es oĂč la solution finale nâĂ©tait pas encore mise en Ćuvre, et oĂč il dĂ©plore benoĂźtement le fait que les autoritĂ©s ne lui ont pas prĂȘtĂ© lâattention quâil est persuadĂ© de mĂ©riter de la part des autoritĂ©s, des SA et autres SS, lesquels, bizarrement, nâen avaient cure. Mais il sâagit surtout pour lui de se plaindre du manque de radicalitĂ© ambiante, lui qui sâattendait Ă une violente rupture avec ce qui avait cours avant lâarrivĂ©e au pouvoir dâAdolf Hitler. Le rationnel-socialisme lâexpression rageuse est de lui, ratio suggĂ©rant encore le calcul, lâescompte, lâenjuivement des divers protagonistes officiels le fait enrager, tant il nâatteint pas encore lâobjectif final qui seul permettrait de larguer les amarres loin du judĂ©o-christianisme, mais au contraire continue de consacrer son esprit enjuivĂ© de comptabilitĂ©. Partout, il ne voit Ă lâĆuvre que la mĂ©diocritĂ©, comme dans cet extrait plus tardif du volume 96, pas citĂ© non plus â câest ballot- par AlfiĂ©ri Le vraiment dĂ©paysant qui doit monter Ă lâĂ©poque de lâachĂšvement des temps modernes, câest-Ă dire de la dĂ©couverte, conquĂȘte et maĂźtrise de la terre, est le gigantesque de la mĂ©diocritĂ© en tout. Ainsi, chacun est protĂ©gĂ© mais est aussi en mĂȘme temps utilisĂ© comme moyen du pouvoir. La culture » qui est mĂȘme dĂ©jĂ une formation moderne et la barbarie » valent autant, indĂ©pendamment de leurs diffĂ©rences, lâune tenant lieu de lâautre. Ă partir de lĂ , tout le passĂ© est en consĂ©quence recalculĂ© de façon Ă exprimer les buts » posĂ©s » du futur ». Ainsi, cette crainte se grave dans lâinfantilisme qui craint une Ă©poque de la barbarie ». Dâautant plus quâelle ne viendra pas. »GA96, p. 201 La barbarie ne semble effroyable aux yeux de Heidegger quâen tant quâelle ne se dĂ©ploiera jamais vraiment, ce quâil a lâair de vivement regretter, tant, pour des raisons punitives, il aimerait quâelle soit infligĂ©e Ă ceux qui ne font que renforcer ce qui est selon lui son envers â la culture. Notons au passage quâil touche ici Ă une extrĂ©mitĂ© rouge-brune bien dure Ă admettte, y compris par moi-mĂȘme, puisquâil est difficile de ne pas penser Ă lâaffirmation de Walter Benjamin selon laquelle il nâest pas de tĂ©moignage culturel qui ne soit en mĂȘme temps tĂ©moignage de barbarie. Mais pour ne mettre personne mal Ă lâaise, et parce quâil nâest pas vraiment question de cela ici, contentons-nous plutĂŽt de songer Ă ce sinistre nazi qui Ă©tait tentĂ© de sortir son revolver chaque fois quâil entendait le mot culture. Le terme est plus violemment attaquĂ© par Heidegger que le mot qui nous intĂ©resse ici finalement, barbarie semble utilisĂ© en un sens bien plus laudatif que Kultur, terme honni par tout national-socialiste, quâil soit vulgaire ou spĂ©culatif, comme nous le voyons. Mais Francesco Alfieri, prenant bien soin de ne pas Ă©voquer les textes qui fĂąchent, prĂ©fĂšre certainement vĂ©rifier dâautres occurrences de barbarie, en lâespoir de pouvoir noyer tout de mĂȘme le poisson. Et nous ne pouvons que le fĂ©liciter pour son astuce, car câest relativement bien trouvĂ©, il paraĂźt Ă©vident que son montage fera florĂšs auprĂšs de beaucoup de lecteurs qui nâauront pas toujours les moyens de vĂ©rifier ses assertions. Lâautre passage de GA95 quâil tient Ă Ă©voquer stipule La meilleure protection contre le danger [âŠ] quâune telle barbarie de la pensĂ©e » se voie nĂ©anmoins contrainte un jour de reculer. » ibid. Si pensĂ©e est mis entre parenthĂšses, câest trĂšs certainement quâil sâagit de celle auquel le penseur de Messkirch nâaccorde pas ce titre de noblesse, ce label, rĂ©servĂ© Ă la pensĂ©e ontologico-historiale. Preuve en est quâil espĂšre que son emprise diminuera. Notons quâAlfieri propose lâextrait coupĂ©, et quâil ne le traduit pas in extenso dans les pages oĂč il propose des extraits entiers, permettant vĂ©rifications et recoupements orientĂ©s, alors que lui, contrairement Ă moi, Ă©tant publiĂ© par Gallimard, nâaurait aucun problĂšme de droits. Il cite dâautres courts extraits sur lesquels nous reviendrons, notamment de GA97, et se dĂ©pĂȘche dâaffirmer quâil nây aurait que cinq rĂ©fĂ©rences, dont une oĂč le mot Barbarei nâapparaĂźt pas â mais je mâĂ©tais aussi, dans mon pamphlet, demandĂ© si le terme Entwilderung, que jâavais dâabord rendu par fĂ©ralisation, puis par ensauvagement pouvait ĂȘtre liĂ© Ă la barbarie. Cet aspect retiendra par la suite notre attention, puisquâil sera en effet question dâune certaine sauvagerie, laquelle aurait Ă©tĂ© pensĂ©e comme nĂ©cessaire, au coeur mĂȘme des spĂ©culations de Heidegger. En quĂȘte dâextrĂȘme, le penseur radical estime que les nazis nâavaient pas pleinement dĂ©ployĂ© ce Ă quoi ils Ă©taient destinĂ©s, missionĂ©s par le destin Plus de demi-mesures et de compromissions qui nâapportent plus rien â nous devons remonter complĂštement en amont Ă lâinsurrection et ainsi Ă©prouver dans son intimitĂ© la sauvagerie et la tourmente. » GA94, Il est tout simplement impossible de faire lâimpasse sur ce terme clĂ©, insurrection, Aufstand, pour comprendre quoi que ce soit du rapport de Heidegger au nazisme et au judaĂŻsme â â et du coup encore moins ces propos prĂ©cis sur la barbarie et/ou la sauvagerie. Lâouvrage que jâai rĂ©digĂ© il y a deux ans a proposĂ© diverses approches de ce terme auquel je renvoie ici. Pour ce qui nous intĂ©resse, contentons-nous de remarquer que Heidegger, portĂ© par une conviction incapable de la moindre concession, mĂ©prise plus que tout les demi-mesures du nazisme des annĂ©es trente, celui du concordat et des recherches de financement. La sauvagerie nâa pas lâair ici aussi de lâinquiĂ©ter outremesure, il semble mĂȘme lâappeler de ses voeux. aurait-elle des vertus purgatrices, cathartiques? Se confond-elle avec cet initial qui le fait tant fantasmer, et servirait de contrepoint inespĂ©rĂ© contre les affreux raffinement de la culture? Le sauvage est-il ce qui permettrait de rĂ©sister Ă la dĂ©chĂ©ance auquel mĂšne immanquablement lâoubli de lâĂȘtre, propre Ă ceux qui nâosent pas lâĂȘtre, et sont mĂȘme inaptes Ă lâoser? Voire qui diffusent un mode dâĂȘtre favorisant son esquive? Seule certitude AlfiĂ©ri nâen parle pas du tout, ce qui est fort pratique, encore une fois. Comme de procĂ©der Ă des raccourcis extrĂȘmement rapides; aprĂšs avoir Ă©voquĂ© deux autres passages oĂč il est question de la barbarie et du nazisme, il se fĂ©licite de constater que revient le terme danger » Gefahr qui se laisse facilement rattacher au national-socialisme et Ă sa philosophie dans la mesure oĂč celle-ci suit la logique » traditionnelle de la pensĂ©e commune et des sciences exactes » » Tout ici est, dâune certaine façon, consternant. Tout dâabord, le terme facilement montre Ă quel point lâinterprĂšte ne sâembarrasse pas avec le lecteur Ă convaincre, et lâincite Ă procĂ©der aux raccourcis quâil se propose lui-mĂȘme. Alors que le Gefahr, comme de nombreux autres concepts heideggeriens, ne se laisse pas dompter en une tournemain par les tentatives de comprĂ©hension, nous apprenons que la critique du nazisme serait ici facile Ă saisir. Redoublement de la consternation ce que dit AlfiĂ©ri est valide, puisque câest justement parce quâil refuse la logique, la validitĂ© et la science, que Heidegger critiquerait le nazisme. Consternation au cube nous voilĂ amenĂ©s Ă rĂ©diger ne serait-ce quâĂ titre de paraphrase, comme notre interprĂšte que les dĂ©lires raciologiques et idĂ©ologiques de la peste brune auraient quoi que ce soit Ă voir avec la logique tradionnelle et les sciences exactes. Nous devrions donc fĂ©liciter le grand penseur pour son refus du mouvement criminel de Hitler et consorts- â non parce quâil fut barbare il ne le fut Ă ses yeux, au contraire, pas suffisamment, mais parce quâil aurait Ă©tĂ© trop logique et scientifique, ce qui serait le vrai danger, alors que tout ceci aurait Ă©tĂ© salvateur si cela avait Ă©tĂ© engagĂ© au nom de lâĂȘtre! Comme chacun le sait, attaquer la Pologne et brĂ»ler des familles juives, passe encore, mais par contre, tomber dans une scolastique digne de Saint Thomas ou privilĂ©gier les rĂ©sultats dâune Ă©quipe de recherche du CNRS, câest lĂ le cauchemar absolu, le danger. Combien de philosophes professionnels vont mĂȘme applaudir lorsquâils vont lire, ĂŽ sainte horreur, que les nazis auraient souscrits Ă une logique propre Ă la pensĂ©e commune ? Goebbels et Heydrich devaient, alors, vraiment ĂȘtre dâodieux personnages â â puisquâils nâont rien compris Ă Sein und Zeit, le nazisme Ă©tait vraiment dangereux! Dâailleurs, Ă bien y penser, puisquâEmmanuel Faye et moi-mĂȘme sommes censĂ©s ne rien avoir compris non plus Ă la diffĂ©rence ontologique, eh bien nous voilĂ plus proches des bourreaux nazis que Heidegger lui-mĂȘme, irrĂ©prochable! La pensĂ©e nâaurait rien Ă voir avec ces criminels nĂ©cessaires, contrairement Ă la philosophie, qui, empĂȘtrĂ©e dans la mĂ©taphysique, est elle-aussi un humanisme, selon le bon mot de Lacoue-Labarthe. Face Ă tout ce fatras qui finit par faire systĂšme et qui a emportĂ© la conviction de tant de lecteurs, ne reste parfois que lâironie. Mais, non, il faut toujours opposer la probitĂ© et lâacribie contre les montages hermĂ©neutiques perpĂ©tuant le camouflage philosophique de celui qui se rĂȘvait en Ă©minence grise du nazisme. La barbarie, câest ce qui pourrait bien heureusement mettre fin Ă lâĂ©ternel retour dâune certaine engeance, que la philosophie, comme la science, comme la pensĂ©e commune â â comme tout en fait! â ne fait que la perpĂ©tuer. DâoĂč un souhait bien lĂ©gitime dây mettre fin, et de refuser toute philosophie nazie Une philosophie nationale-socialiste » est encore une philosophie » quand bien mĂȘme elle sert le nazisme », claudiquant comme pĂ©danterie pĂ©nible derriĂšre lui » GA94, Le contexte est bien sĂ»r celui dâun mĂ©pris permanent consignĂ© dans ses carnets par Heidegger Ă lâencontre de tous ses adversaires-philosophes plus heureux que lui auprĂšs des autoritĂ©s nazies. Alfieri nâen touche mot, car ces petits persiflages jaloux ne mettent pas franchement en valeur son hĂ©ros. Jean-Pierre Faye, lui, y avait Ă juste titre, et tĂŽt, fait rĂ©fĂ©rence. VexĂ© quâon nâait pas Ă©coutĂ© ses fadaises historiales, Heidegger multiplie les pointes contre les tenants dâun nazisme officiel quâil met dĂ©s lors entre parenthĂšses, puisque ce nâest que celui vulgaire et effectif qui compose avec le principe de rĂ©alitĂ© â et la ratio- plutĂŽt quâavec la radicalitĂ© fantasmĂ©e dâun surcroĂźt de barbarie ou de sauvagerie dĂ©s les annĂ©es trente. Alfieri croit donc pouvoir noter que le penseur prendrait lĂ ses distances avec, je cite, le patrimoine intellectuel national-socialiste â superbe expression pour dĂ©signer les monstruositĂ©s juridiques Ă©chaffaudĂ©es par Hans Frank et consorts. Il se fĂ©licite mĂȘme aux lignes suivantes dâattaques contre un obscur Hans Heyse, censĂ© ĂȘtre philosophe de lâexistence et nazi, ce qui, chacun lâaura compris, prouve bien que Martin Heidegger Ă©tait un rĂ©sistant spirituel, une sorte de Jean CavaillĂšs souabe qui aurait pu Ă coup sĂ»r intĂ©grer La Rose Blanche. Il lâimagine tellement au dessus de la mĂȘlĂ©e quâAlfieri est tout fier de nous citer les extraits oĂč, fanfaronnant cette anti-intraception quâĂ©voque Adorno dans ses Etudes sur la personnalitĂ© autoritaire, Heidegger se vante de refuser tout sentimentalisme, de ne pas sâaffliger sur les temps prĂ©sents et la barbarie imminente, car la pensĂ©e remonte aux sources; Ă contre-courant, le hĂ©ros invisible nâa au fond que faire de la pulvĂ©risation Ă venir de millions dâindividus, lesquels ont lâaudace de ne pas ĂȘtre-le-lĂ , et de ne rien avoir compris Ă son Hauptwerk. VoilĂ bien un motif de mĂ©pris lĂ©gitime Ă lâendroit de ceux qui remplissent, en bourreaux ou victimes, les charniers. Quel grand penseur, si concentrĂ©! Sans transition, lâinterprĂšte italien saute une dizaine dâannĂ©es et passe directement aux textes de GA97, mais nâen parle que six lignes, juste pour dire, tout penaud, que câest trop compliquĂ©, quâil en parlera plus loin. Il y a bien heureusement, pour notre introducteur, bien plus facile, et il nous le dit Il est aisĂ© dâentrevoir que le fil conducteur qui relie les cinq passages analysĂ©s ci-dessus est la pseudo-philosophie », â Ă©lĂ©ment qui revient souvent en Ă©tant rĂ©fĂ©rĂ© au national-socialisme et aux fonctionnaires » de la culture â associĂ©e Ă lâabsence de pensĂ©e » Denken, qui par bien des aspects rapproche le national-socialisme et la modernitĂ© » En un clin dâoeil, Francesco Alfieri vient de siffler le rappel de tous les professionnels de la philosophie qui liront son chef dâoeuvre commun avec von Hermann quiconque ne serait quâun littĂ©rateur, un journaliste, ou quelconque autre technicien de la culture ou de lâhistoricisme serait associĂ© avec Eichmann et dâautres Ă tout autre fonctionnariat ou esclavage de lâĂ©tant et de la nonphilosophie, fut-il celui des machines de mort. La cause? Ne pas avoir assez fait de philosophie â si ce mot convient pour dĂ©signer la pensĂ©e heideggerienne, qui seule est valable, cela va de soi â ne pas avoir de philosophie, ce serait la cause du pire, notamment de toute dĂ©rive toujours insuffisante vers la barbarie. Petit malaise tout de mĂȘme pour ceux qui ont vraiment lu les Cahiers noirs et qui se souviennent pourtant que Heidegger a pu Ă©crire Ma philosophie » â au cas oĂč lâexpression stupide serait utilisĂ©e » GA97, Alfieri nâĂ©voque Ă©videmment pas ce passage, et prĂ©fĂšre conclure triophalement il pense avoir trouvĂ© le sens, dĂ©s lors, de lâexpression principe barbare il dĂ©signerait une propension au fond fort commune, et le mot est faible Ă ne pas Ă©couter Heidegger, câest Ă dire Ă manquer la pensĂ©e de lâĂȘtre. La proposition de PĂšre AlfiĂ©ri-Ubu a ceci de fĂ»tĂ©e quâil est certes vrai au sens de valide, cela va sans dire que Heidegger voit bien dans le nazisme une version parmi dâautres dâempĂȘtrement dans la modernitĂ© technique, autrement dit dans la machination mondiale appendice du premier commencement perverti par le judĂ©o-christianisme. Le barbare Ă©tant lâĂ©tranger, le nazisme effectif serait une version maximisant un Ă©garement ancien, et sa propension Ă la Mischung. Mais câest lĂ ce quâAlfieri ne saurait voir que Heidegger a pu mĂ©diter cette maximisation de lâĂ©garement comme une chance, un instant historial pouvant permettre la dĂ©cision, au sens oĂč lĂ oĂč croĂźt le danger, augmenterait aussi ce qui sauve. Câest parce que les nazis intensifieraient ce quâaurait de pire lâenjuivement ancestral, quâils seraient en mesure dâen pousser la criminalitĂ© dans ses ultimes retranchements, favorisant le passage, la transition vers le nouveau commencement. Donc si Heidegger Ă©voque bien le nazisme comme un principe barbare, câest Ă la fois pour le dĂ©plorer et le cĂ©lĂ©brer selon le contexte et lâhumeur dâabord en en rappelant son origine toujours douteuse et dĂ©testable â â et dâautres part pour en Ă©voquer le caractĂšre salvateur, puisque le pire dĂ©racinement concernant le peuple le plus sombre et enracinĂ©, la violence de son versement forcĂ© dans la modernitĂ© amĂšnerait potentiellement lâĂ©vĂšnement enfin dĂ©-cisif appelĂ© de ses voeux par Heidegger. Puisquâil sâagit de rĂ©gler son compte Ă ce qui surdĂ©termine lâavĂšnement de lâĂšre technique â â par un usage immodĂ©rĂ© de la technique elle-mĂȘme â technique Ă©tant un doux euphĂ©misme dĂ©signant Ă chaque fois lâĂ©lĂ©ment judaĂŻque souverain, honni, et salavateur; chacun pourra imaginer de quelle solution â finale- il pourrait sâagir. Mais pour cela, il faudra cesser de fantasmer Heidegger en espĂšce de hĂ©ros philosophique dont lâexigence de mĂ©ditation pure le tiendrait Ă distance avec un nazisme qui lui demeurerait extĂ©rieur ce truisme bien franco-italien a fait long feu, du moins auprĂšs de ceux qui souhaitent maintenir une distance critique. Le dĂ©lire apologĂ©tique dâAlfiĂ©ri a beau se parer des beaux atours dâune soi-disant lecture interne de la spĂ©culation ontologico-historiale, il ne rĂ©siste pas au discernement de ceux se doutant que mĂȘme si le lien de Heidegger au nazisme et Ă lâantisĂ©mitisme est tortueux, il nâen est pas moins rĂ©el et sournoisement laudatif. Il y a bien trop dâextraits gĂȘnants pour la lecture dâAlfiĂ©ri, et si je ne nie pas que quelques textes curieux des Cahiers noirs peuvent localement mettre Ă mal ma proposition critique dâinterprĂ©tation, je laisse au lecteur le soin dâĂ©valuer par lui-mĂȘme le sens de cette histoire, par exemple, de principe barbare. Pour ce faire, je me permets de renvoyer Ă ce que jâen Ă©crivais dans mon long pamphlet Manipulations concernant la cĂ©lĂ©bration heideggerienne du nazisme comme Principe Barbare » Lettre du 7 juin 1936 Ă Kurt Bauch Le national-socialisme serait beau en tant que principe barbare â mais il ne devrait pas ĂȘtre aussi bourgeois » Correspondance avec Bauch, Apparemment, lâexpression principe barbare » provient de Schelling. Celui-ci renvoie Ă la nature comme substrat de la crĂ©ation divine, au fameux fond » qui intĂ©resse tant notre auteur, justement, en cette annĂ©e 1936. Il nous faut en toucher un mot. Le fond renvoie Ă lâĂąge du PĂšre le judaĂŻsme ? Câest Ă©crit clairement dans ses Urfassung der Philosophie der Offenbarung, Meiner Felix Verlag oĂč Dieu nâest que solitude jouissant de soi, Ă©goĂŻsme et colĂšre â colĂšre qui devra ĂȘtre adoucie par lâautre commencement du Fils lâAllemagne invisible ?, principe de lâAmour !, vouĂ© Ă tempĂ©rer la sauvagerie, le caractĂšre barbare du premier commencement. Mais, indocile, le fond est toujours tentĂ© â puisquâil se caractĂ©rise avant tout par une propension Ă lâasĂ©itĂ©, sa Sehnsucht, dans son indĂ©pendance et sa libertĂ©, par lâinsurrection par rapport Ă lâinjonction divine, Ă entreren insurrection contre lâordre, lâajointement. Or, seul, il est inconscient, irrationnel contractant, entĂ©nĂ©brant » cf. les Weltalter, stĂ©rile anhistorial ? et câest en quelque sorte son dressage qui permet nĂ©anmoins cet ordre, cet ajointement de tout ce qui est. Le philosophe idĂ©aliste affirme en effet de lui que vaincu mais non annihilĂ©, il demeure la base de toute grandeur et de toute beautĂ© » SĂ€mmtlicheWerke, VIII, p. 343. Il faudrait relire Miklos Vetö, voire le fameux texte de Marc Richir non pas sur la barbarie, mais sur la sauvagerie, pour commencer Ă comprendre de quoi il retourne Sauvagerie et utopie mĂ©taphysique » PrĂ©face Ă Schelling. Les Ages du monde â versions premiĂšres, 1811-1813. Mais plus gĂ©nĂ©ralement, comme nous y inviterons souvent dans cet Ă©crit, relire Schelling et les premiers cours de Heidegger Ă son sujet, absolument dĂ©cisifs, peut-ĂȘtre mĂȘme davantage que ceux sur Hölderlin, proposĂ©s en trompe-lâĆil. En tout cas, ce passage sur le nazisme comme principe barbare nĂ©cessite une Ă©lucidation de la part des chercheurs,et certains chevronnĂ©s comme Jean-François Courtine pourraient nous apporter leurs lumiĂšres. Il y avait eu en tout cas un dĂ©bat avec Elkabbach oĂč FĂ©dier assurait Ă son contradicteur que barbare » Ă©tait, sous la plume de Heidegger, assurĂ©ment pĂ©joratif. Les Cahiers noirs restent exactement dans la mĂȘme tonalitĂ©, et en rajoutent mĂȘme une couche dans lâinfamie Le nazisme est un principe barbare. Câest sa plus essentielle et potentielle grandeur. Le danger nâest pas lui-mĂȘme â mais quâil soit galvaudĂ© en une prĂ©dication sur la vĂ©ritĂ©, le bon et la beautĂ© â comme dans une soirĂ©e de formation scolaire. Et que ceux qui veulent en faire sa philosophie, nây aient alors rien mis dâautre que la logique » dĂ©suĂšte de la pensĂ©e commune et de la science exacte, au lieu de comprendre que dĂšs maintenant la logique » arrive de nouveau dans la dĂ©tresse et la nĂ©cessitĂ© et doit prendre une nouvelle source » GA94, Heidegger nâest pas franchement en train de sâĂ©mouvoir de la barbarie nazie â mais bien plutĂŽt du fait que ses collĂšgues dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s ne prennent pas acte de la radicalitĂ© du mouvement, lequel est censĂ© rompre avec toute la logique occidentale du premier commencement. On pourra bien sĂ»r, Ă loisir, songer Ă Hölderlin et ces barbares qui tout calculent⊠» Ou plutĂŽt, avec plus de pertinence, se dire quâHeidegger envisage par ce terme de barbarie » une Allemagne complĂštement dĂ©christianisĂ©e, et cela va sans dire, dĂ©senjuivĂ©e, ce que suggĂšre la fin de sa phrase. Ce que Heidegger exĂšcre le plus chez ses compatriotes qui ne reconnaissent pas son gĂ©nie millĂ©naire, câest leur propension Ă tomber dans les travers du libĂ©ralisme prĂ©cisĂ©ment reprochĂ© Ă lâennemi comme avatar du calcul et du dĂ©racinement. Heidegger plaide en faveur de plus de radicalitĂ© contre lâempĂątement trivial du rĂ©gime une fois la grandeur » de lâĂ©vĂ©nement initial Ă©vanouie. Il veut souffler sur les braises, raviver la flamme. Et continuera de le faire longtemps jusquâĂ la toute fin de la guerre, comme le montre une lettre de 1945 oĂč il dĂ©plore et espĂšre Ă la fois, suggĂ©rant quâun principe obscur aurait empĂȘchĂ©, du fond des temps lâAllemagne nazie de dĂ©ployer son essence plĂ©niĂšre ! Ici, tout le monde ne pense quâĂ lâeffondrement. Mais la vĂ©ritĂ© est que nous autres Allemands ne pouvons nous effondrer, car nous nâavons pas encore surgi. Nous devons marcher Ă travers la nuit. » Francesco AlfiĂ©ri ne fait pas la moindre rĂ©fĂ©rence Ă cette source schellingienne de cet idiome, principe barbare, alors que comme lâinsurrection, câest un concept que Martin Heidegger reprend Ă son compte discrĂštement dans les annĂ©es trente, lorsquâil Ă©labore la pensĂ©e de ce tournant historial quâa dĂ» ĂȘtre Ă ses yeux sa nouvelle comprĂ©hension de ce quâĂ©tait, et devait ĂȘtre, finalement, le nazisme comble salvateur du premier commencement. Jâai souhaitĂ© proposĂ© ma premiĂšre interprĂ©tation, rĂ©digĂ©e il y a dĂ©jĂ plus de deux ans, afin, Ă©galement, de relativiser la prĂ©tendue maestria de lâinterprĂšte italien, qui pense pouvoir expĂ©dier en cinq pages une interprĂ©tation adĂ©quate de lâexpression qui nous intĂ©resse. Principe barbare doit ĂȘtre abordĂ© dans un contexte spĂ©culatif complexe, trĂšs particulier, qui est celui de la passe ou de la transion rĂȘvĂ©e par Heidegger, entre la souverainetĂ© du premier commencement nâen finissant plus, et ce nouveau commencement quâil porte aux nues, qui Ă la fois collecterait cette ancienne souverainetĂ© surdĂ©terminant mĂȘme la modernitĂ© â et Ă la fois lui opposerait le plus profond divorce. Concernant cette engeance interminable et la façon dont elle rĂšgne encore dans les temps modernes, de nombreux indices sont dissĂ©minĂ©s dans les Cahiers noirs en faisant discrĂštement Ă©tat; ainsi de ce passage dĂ©cisif, qui devrait susciter lâincrĂ©dulitĂ© de tout lecteur, y compris ceux qui sâestiment le mieux attentionnĂ©s, les plus tentĂ©s par une lecture charitable Le pharisaĂŻsme de Karl Barth et consorts surpasse mĂȘme celui de lâancien judaĂŻsme dont lâampleur avait pourtant dĂ©fini les nĂ©cessitĂ©s de lâhistoire moderne de lâĂȘtre ». GA95, Ma question est simple quâest-ce que Heidegger cherche prĂ©cisĂ©ment Ă nous dire de lâancien judaĂŻsme dans ce passage plus que jamais allusif? Quel rapport entre les nĂ©cessitĂ©s de lâhistoire moderne de lâĂȘ tre et eux, au juste? Cela revient-il Ă dire, Ă la façon de Nietzsche, que lâengeance judĂ©o-chrĂ©tienne surdĂ©termine ce qui va advenir des milliers dâannĂ©es aprĂšs lorsque tel dictateur envoie dans les camps de la mort des millions de victimes? Un texte rĂ©digĂ© alors que les fours crĂ©matoires fonctionnent Ă plein ne se gĂȘne pas de lâaffirmer sans ambages le Monothéïsme judĂ©ochrĂ©tien» est prĂ©sentĂ© comme Ă©tant Ă lâorigine des systĂšmes modernes de la dictature totale » GA97, Anmerkungen I-V. Mon hypothĂšse est aussi tortueuse que le montage spĂ©culatif heidegger menant Ă la justification, comme un boomerang historial, de la solution finale ce quâil nomme principe barbare doit ĂȘtre saisi comme une forme de suprĂ©matie, du genre de celle qui permettent de prendre ou non des dĂ©cisions permettant une souverainetĂ© millĂ©naire. Ou bien, ou bien soit amener, par quelques engeance prophĂ©tique juive, le monde entier dans le mĂ©lange immĂ©morial de la seule considĂ©ration pour lâĂ©tant et son Ătre Sein par inaptitude Ă penser la diffĂ©rence ontologique, soit, bien Ă©videmment, le rĂšgne Ă venir du Seyn, dont Heidegger Ă©crit Ă Kurt Bauch quâil sâagit dâun Deckname, un mot-couvert, pour dĂ©signer la chĂšre patrie teutonne, Vaterland. Le nazisme serait beau en tant que principe barbare, câest-Ă -dire sâil comprenait enfin sa mission dĂ©volue de mener Ă son terme, par ses ultimes et pires consĂ©quences, la rage juive qui anime le premier commencement, afin dâen permettre la derniĂšre catharsis, la purge finale, et permettre lâavĂšnement du nouveau commencement. AlfiĂ©ri est bien loin dâune telle prise de conscience systĂ©matique dâoĂč veut en venir Heidegger Ă partir de 1934, lorsquâil prend conscience du parasitage intime du mouvement par ce quâil est censĂ© combattre, et quâil comprend que seule une gigantomachie discrĂšte mais finale avec lâennemi intime permettra la dissension totale avec son habiletĂ© tenace Ă tout mĂ©langer. LâinterprĂšte, bien loin de la prise en compte de ces enjeux violents, prĂ©fĂšre piteusement minorer, Ă la page 128 de lâouvrage quâil a commis, lâexpression grandeur Grösse utilisĂ©e par Heidegger pour dĂ©signer le principe barbare. Il repĂšre en effet lâambivalence supposĂ©e de ce terme, certes parfois Ă©voquĂ© de façon pĂ©jorative par le penseur, dâune façon qui est Ă corrĂ©ler Ă toute la thĂ©matique du gigantisme, dĂ©nonçant les outrances de la toute derniĂšre modernitĂ©, notamment communiste et surtout amĂ©ricaine; les cas oĂč Heidegger sâen prend apparemment aux nazis, câest parce quâils souscrivent selon lui tĂȘte baissĂ©e Ă ce libĂ©ralisme et cet amĂ©ricanisme du colossal et du gigantesque. ProblĂšme AlfiĂ©ri est soit malhonnĂȘte, soit incompĂ©tent â soit sĂ»rement un peu des deux- lorsquâil sâen tient Ă ces conjectures car le penseur quâil cherche Ă paraphraser attaque certes vertement les dĂ©rives barbares â â mais nâoublions jamais quâen mĂȘme temps il les bĂ©nit comme ce qui mĂšnera Ă terme ce dĂ©roulement de toute façon nĂ©cessaire du premier commencement. En sâen souvenant, lâambiguĂŻtĂ© du terme grandeur devient toute relative, puisquâelle est Ă renvoyer Ă la duplicitĂ©, dâallure il est vrai parfois schizophrĂšne, qui prĂ©side au rapport que Martin Heidegger entretient avec la technique, la technologie, la machination, quâĂ la fois il cherche Ă stigmatiser tout en en rappelant dĂ©s que possible la nĂ©cessitĂ© historiale, quâil faudrait patiemment intensifier â charge qui reviendrait Ă un nouveau peuple Ă©lu, lequel nâest autre que le sien. Devenir plus que jamais esclaves de la machination pour lâintensifier et en permettre la mission initiale â mener Ă lâauto-anĂ©antissement de ceux qui lâont dâabord promu de par leur vie selon le principe de la race- voilĂ la charge Ă la fois mĂ©prisable et souveraine qui, selon lui, reviendrait aux nazis si ceux-ci avaient un peu lâaudace de jouer pleinement leur rĂŽle, plutĂŽt que de nâĂȘtre, comme il le regrettera aprĂšs guerre, des CĂ©sars Ă©moussĂ©s Lâerrance de 1933 consistait dans le fait de ne pas avoir reconnu combien peu de prĂ©paration et de forces, combien peu historiaux et combien peu libres pouvaient-ils ĂȘtre malgrĂ© le dogmatisme nĂ©cessaire. Lâerrance repose sur le fait que les fonctionnaires nâont pas Ă©tĂ© reconnus comme fonctionnaires. Mais peut-ĂȘtre ne lâĂ©taient-ils pas encore vraiment, ils nâavaient pas suffisamment endossĂ© ce rĂŽle. Ils lâont jouĂ© directement Ă la façon de petits-bourgeois, comme des CĂ©sars Ă©moussĂ©s » GA97, Le dĂ©but de cet extrait corrobore notre hypothĂšse concernant le vĂ©ritable sens du fameux tournant de 1934 il consiste en la reconnaissance du caractĂšre tĂ©lĂ©guidĂ©, intimement enjuivĂ© et en cela perverti, du rĂ©gime, vouĂ© Ă nâĂȘtre que le pantin dâune plus ancienne volontĂ© de puissance cachĂ©e, lâinstrumentalisant. Câest surtout la fin du passage qui nous intĂ©resse ici, suggĂ©rant lĂ -encore, pour ceux qui persistent Ă prendre Martin Heidegger pour un enfant de choeur, que son appel Ă la mise Ă jour plĂ©niĂšre du principe barbare avait tout Ă voir avec la sauvagerie incroyable dĂ©ployĂ©e par le rĂ©gime nazi, laquelle nâa cessĂ© toutefois de lui sembler bien infĂ©rieure Ă celle, abritĂ©e et discrĂšte, de celle de son ennemi intime, et qui sâest propagĂ©e chez toute sorte de pharisiens enjuivĂ©s bien plus nocifs et raffinĂ©s Ă ses yeux; il nâhĂ©site dâailleurs pas Ă la nommer lâinessence irresponsable, qui dĂ©passe de plusieurs milliers de degrĂ©s la rage de Hitler en Europe » GA97, La prĂ©sence dâĂ©crits heideggeriens suggĂ©rant quelque courroux Ă lâencontre du principe barbare nâest Ă corroborer quâĂ ses nombreux textes oĂč il dĂ©plore ce qui est pourtant nĂ©cessaire que les Allemands soient, du peuple le plus enracinĂ©, celui Ă qui reviendrait le plus la charge tragique dâassumer Ă fond cette Mischung inĂ©vitable, cette situation inextricable oĂč lâennemi invisible lâentraĂźne Ă sa propre perte; mais tel un Berserker entrant dans une terreur sacrĂ©e, lâAllemand qui devrait endosser pleinement le rĂŽle nazi comme une Ă©preuve de lâĂ©tranger, de lâĂ©trangĂšretĂ©, de lâinsolite terme trĂšs utilisĂ© dans le traitĂ© de 1939 Lâhistoire de lâĂȘtre en arriverait ainsi Ă se dĂ©barrasser de ce qui le parasite depuis des siĂšcles, ce qui du judĂ©o-christianisme aurait empoisonnĂ© lâIster, le Rhin, en amont. Pour revenir aux trivialitĂ©s que ces spĂ©culations dĂ©lirantes de Heidegger camouflent mal, il Ă©tait dâusage courant, chez les nazis, de fantasmer telle nĂ©cessitĂ© apocalyptique par laquelle lâAllemagne arriverait pleinement Ă se libĂ©rer de lâengeance allogĂšne, ses malversations, lesquelles se seraient largement emparĂ©es du pauvre Dasein teuton. Prise dans lâĂ©tau dâune barbarie qui a fini par lâinfiltrer profondĂ©ment, le nazisme vulgaire est bien insuffisamment paranoĂŻaque, et Heidegger prĂ©tend repĂ©rer un complot bien plus vicieux encore, comblant au passage ses lecteurs professionnels versant dans la philosophie du soupçon. Lâextrait Ă©voquant la rage de Hitler ne devraient donc en aucun inciter Ă la lecture facile consistant Ă voir une critique de cette ire, tant celle-ci est apparentĂ©e Ă la libĂ©rtĂ© et nĂ©cessitĂ© dâerrer que Heidegger ne cherche de thĂ©matiser comme seule planche de salut de lâOccident. Il ne sâest donc pas dĂ©dit aprĂšs-guerre concernant la vĂ©ritable grandeur du national-socialisme car, contrairement Ă AlfiĂ©ri qui nây comprend pas grand chose, il est restĂ© cohĂ©rent. Lui, tout fier de sa petite trouvaille concernant la plurivocitĂ© de grandeur quâil ne prend Ă©videmment pas le temps dâexpliciter, tire ses consĂ©quences On peut supposer que les cours de Fribourg des annĂ©es 1933-1945 dans lesquels Heidegger reconnaĂźt la grandeur » propre au mouvement » national-socialiste, doivent ĂȘtre revisitĂ©s hermĂ©neutiquement sur la base de la complexitĂ© du terme Grösse. Nâayant pas la moindre idĂ©e de ce Ă quoi cela lâengagerait, AlfiĂ©ri nâhĂ©site pas, il fonce Le doute demeure et peut ĂȘtre justifiĂ© par la fluiditĂ© avec laquelle Heidegger outrepasse â au sens dâune re-crĂ©ation â les unitĂ©s sĂ©mantiques de nombre de paroles fondamentales Grundworte afin dâaccĂ©der Ă de nouveaux horizons de sens pouvant ĂȘtre infĂ©rĂ©s sur la base du contexte dans lequel se situent ses rĂ©flexions. A poursuivre un tel itinĂ©raire, lâhermĂ©neutique devra tenir compte de concordances philologiques assez difficiles et sây confronter ». Câest fantastique dans un essai scandant tapageusement rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© sur les Cahiers noirs, notre interprĂšte officiel-cooptĂ©, au lieu de se mettre Ă lâouvrage devant nos yeux Ă©bahis, choisi la plus sĂ©duisante des stratĂ©gies rappeler Ă quel point il faudrait se mettre au travail â â ce quâil ne fait certes pas lui-mĂȘme, mais il prĂ©vient que cela ne va pas ĂȘtre facile! On le comprend puisque il ne le fait lui-mĂȘme pas, lĂ oĂč câest pourtant ce quâil annonce. Les quelques interpolations tentĂ©es avec les occurences de lâidiome principe barbare nâont donnĂ© de son cĂŽtĂ© que de bien maigres rĂ©sultats, bien loin de nous mettre devant les yeux la vĂ©ritĂ© nue de ces textes douteux. Mais attention, AlfiĂ©ri nâest pas un hermĂ©neute avare, si bien quâau paragraphe suivant, il paye sa tournĂ©e, il arrose Quelques exemples seulement, pour signaler quâil nâest pas possible de supposer un sens littĂ©ral aux termes employĂ©s » ibid. ce Ă quoi nous avons envie de rĂ©pondre certes. Heidegger se crĂ©e sa propre conceptualitĂ©, chacun lâavait compris. Las, alors que nous pourrions attendre le travail minutieux quâil prĂ©tend mener, AlfiĂ©ri va encore une fois se contenter dâĂ©voquer dâhypothĂ©tiques clĂ©s hermĂ©neutiques qui interviendront plus tard dans son travail, puis digresse, tant quâĂ faire, en se jetant sur un nouvel os Ă ronger, une nouvelle stratĂ©gie dâeuphĂ©misation, qui nâest autre quâune critique cinglante que son hĂ©ros a formulĂ© Ă lâencontre du nazi Baeumler, rĂ©digĂ©e, dit-il, sans mĂącher ses mots. Ce nâĂ©tait pas bien difficle personne ne lisait ses cahiers privĂ©s. Il nâest plus question, dans les lignes suivantes, dâexpliciter principe barbare ? Eh bien non, AlfiĂ©ri est dĂ©jĂ passĂ© Ă autre chose. VoilĂ le genre de texte que Von Herrmannn nâhĂ©sitait pas Ă co-signer des deux mains. Quiconque aurait du temps Ă perdre pourrait reprendre tous ses Ă©crits, en particulier celui intitulĂ© Wege ins Ereignis portant sur les BeitrĂ€ge, pour y montrer comme dans ceux de FĂ©dier et dâautres Ă quel point ils sont faux et nient la rĂ©alitĂ© du nazisme et de lâantisĂ©mitisme propre Ă la mĂ©tapolitique heideggerienne.
2Prisonerâs Dilemma, HarperCollins, New York, 1996, p. 313.; 14 Car en un second mouvement, analogue Ă celui quâamorce le narrateur investi dans la simulation, le texte attire le lecteur en lui dĂ©crivant un monde Ă sa ressemblance, un monde auquel il peut croire. Lâinstrument le plus Ă©vident de ce rapprochement est sans nul doute le rĂ©gime massivement autobiographique du
ReplayDocumentaireAu nom de la vĂ©ritĂ©Au nom de la vĂ©ritĂ© - Machination amoureuse 11/01/2018 Ă 14h00 âą 24min âą 286 vuesRĂ©sumĂ©Chacun d'entre nous s'est dĂ©jĂ retrouvĂ© au moins une fois, au cĆur de la tourmente... "Au nom de la vĂ©ritĂ©" s'attache Ă des hĂ©ros du quotidien en prise avec une dĂ©cision capitale. Chaque Ă©pisode est une tranche de vie dans laquelle chacun peut s'identifier ou projeter sa propre famille. Ces moments qui dĂ©rapent, ces accidents de la vie, ces histoires secrĂštes qui encombrent notre quotidien... C'est tout l'univers de votre nouvelle sĂ©rie. Replay TV par chaĂźne Replays les plus vus Replays au hasard
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au nom de la vérité machination amoureuse